Gagner en performance en période de crise économique… sans tout casser
Partie I : Cibler en gardant la vision d’ensemble

Confrontées à une crise économique, les entreprises, sans savoir de quoi demain sera fait, doivent pourtant faire des choix fermes, et souvent douloureux. La complexité de ces choix, et du management de la période est redoutable, s’ajoutant aux difficultés humaines de la crise. Comment réduire les coûts sans « casser la machine », sans réduire les chances de reprise ? Comment annoncer la situation aux collaborateurs sans créer la panique ? Peut-on les associer sans générer un front du refus ? Comment éviter le départ de compétences clefs ? Autant de questions critiques qui se posent aux dirigeants et à leurs équipes.
Dans ce premier article, nous explorerons la question du ciblage : comment choisir là où réduire les coûts ? Quelles erreurs éviter ? Comment empêcher de générer d’autres crises ? Nous explorerons dans un second article les questions liées à la communication et à l’association des équipes.
Réduire les coûts : le coup de rabot qui coupe les pattes
Lorsque la crise économique frappe une entreprise, ou même une organisation publique, la tentation du « coup de rabot » est le premier réflexe. Appliquer le même niveau d’exigence d’économie à tous les services, à toutes les dépenses, paraît souvent une mesure d’équité, qui évitera de longs palabres.
Cependant, ce choix peut obérer la reprise, si on taille dans les dépenses qui sécurisent le futur.
Le Comité de Direction de cette entreprise de services était prêt à couper dans les équipes commerciales en charge de préparer le rebond. Avant de réaliser que celui-ci pourrait s’en trouver compromis.
De même, un site industriel confronté à une chute de ses commandes, était tenté de diviser par deux son effectif d’encadrants de proximité. Le travail que nous avons mené avec ses dirigeants a montré cependant qu’il s’agissait une population critique, qu’ils avaient du mal à recruter et former, et qui serait indispensable à la reprise.
Ce phénomène est répandu dans la maintenance. Une activité dont on sait mesurer le résultat, mais plus difficilement la pertinence des coûts. Nous observons souvent des clients qui font des économies de maintenance : ils réduisent le préventif, serrent les dents sur l’amélioratif… mais à force de réduire, la fiabilité baisse, le parc machines vieillit prématurément, et l’entreprise se prépare des jours difficiles.
Cette logique du rabot va aussi pénaliser le fonctionnement : chaque entité touchée va rogner d’abord sur les contributions utiles aux autres services pour préserver l’atteinte de ses objectifs, … et au final, les difficultés s’accumuleront. Une grande entreprise de service a même un terme consacré pour ce phénomène : il s’agit des « missions orphelines », abandonnées par les services qui les assuraient. On prétend que le management opérationnel va pouvoir les reprendre, car après tout il est le mieux placé … sans vouloir voir qu’il est déjà noyé de missions annexes.
Souvent, le coup de rabot intervient après beaucoup d’autres. L’organisation, aux dires de la plupart, « est à l’os ». Et les risques qu’on prend à l’appliquer deviennent plus sensibles.
Mais comment faire autrement ? Comment éviter, sous la pression, de faire un saut de performance … dans le vide ?
Cibler des économies durables
Pour éviter les écueils qui précèdent, le point majeur est d’analyser en profondeur les coûts existants, les processus clefs, pour identifier les réductions de coût qui permettront de gagner en productivité, sans pénaliser la marche de l’entreprise. En évitant de se limiter aux perceptions du codir, qui, même lorsqu’il connaît les processus formels, n’a qu’une visibilité limitée sur les processus réels. Egalement en identifiant les effets de seuils générateurs d’économie. Par exemple dans l’industrie, gagner en productivité en gardant le même nombre d’équipe a peu d’impact sur les coûts : les utilities, l’encadrement restent quasiment identiques. En revanche, lorsqu’on peut supprimer une équipe de weekend ou de nuit complète, quitte à rebasculer certains opérateurs en semaine, le gain est tout de suite significatif.
Comment les dirigeants peuvent-ils optimiser les processus clefs de l’entreprise, alors qu’ils ne connaissent pas le détail de leur fonctionnement ? Cela nécessite de travailler avec les collaborateurs concernés.
Dans cette entreprise de transport public, les benchmarks font apparaître que les « frais de structure » sont 20% au-dessus de la concurrence. Le directeur de la BU, qui veut éviter les avanies du « coup de rabot », lance une démarche de mutualisation, et de refonte des processus supports, qui permet de dégager les économies attendues, avec les acteurs supports et un panel de clients opérationnels. En s’inscrivant dans la durée pour trouver une solution de reclassement pour chaque personne concernée, profitant notamment des départs en retraite.
A l’inverse, prendre une décision même ciblée sur un processus sans associer les acteurs terrain peut conduire à des problèmes inattendus. Comme de découvrir que l’ordonnanceur qu’on a muté dans un autre service d’un entrepôt était le seul … à maîtriser pleinement l’outil WMS.
Gagner en performance économique par-delà la réduction de coûts
Regagner de la compétitivité économique ne passe pas que par des réductions de coûts. Cela peut se réaliser par le gain de parts de marché. En prendre soin, mettre en place les actions qui permettent de relancer l’activité constitue à la fois un levier concret de retour à l’équilibre, et un message fort aux équipes, parfois confrontées à des plans d’économie à répétition : nous ne sommes pas dans une vallée sans fin d’attrition, nous nous organisons pour relancer l’activité et donner un avenir au site, à l’entreprise.
Cette entreprise pharmaceutique se trouve en difficulté financière, en particulier du fait de la concurrence asiatique, deux fois plus rapide pour sortir des lots. Un chantier en journées bloquées est organisé avec tous les acteurs concernés. Il permet d’identifier en quelques jours des solutions robustes : mise en parallèle d’activités jusqu’ici séquentielles, suppression d’étapes inutiles liées à une tendance à la sur-qualité, moindre souplesse vis à vis des changements de pied des clients. Cette prise de conscience de l’ensemble des acteurs, jusqu’au commercial, permet de mettre en œuvre ensuite rapidement les changements. Au sortir de la réunion, un des participants nous dit : « c’est magique qu’en si peu de temps on ait bougé autant !»
Dans cette entreprise de service public sous contrat, les programmes de réduction de coût se succèdent, mettant à mal les équipes, conduisant à une perte de sens. Notre cliente qui en prend la direction décide, tout en poursuivant les transformations nécessaires, de chercher des voies nouvelles de développement. Avec succès. Ce qui redonne une dynamique à toute l’entreprise.
Avoir une approche globale de l’équation économique est donc nécessaire. Et au-delà, il importe de rester mobilisés sur les autres dimensions.
Sécuriser les fondamentaux en même temps que les gains
Il est fréquent qu’un plan d’urgence chasse l’autre. Le plan d’urgence sur les coûts redresse la barre économique, mais la qualité ou la sécurité se dégrade, conduisant à un nouveau plan d’urgence. Très souvent le Comité de Direction, satellisé par la gestion de la crise, délaisse le management intermédiaire, qui se retrouve désemparé. Si tout le codir rame, qui tient la barre ?
Or, un des fondamentaux de la gestion de crise consiste à cibler la douleur aigue… tout en maintenant le reste. Pendant la crise, « la vente continue ». Et savoir dire quand la crise est close. Sortir de l’ornière économiquement supposera donc aussi de maintenir la performance sur les autres dimensions : la sécurité, la qualité, le climat social, etc.
Le rôle du consultant
Beaucoup de gestion de crises économiques sont menées sans consultant.
Cependant, dans cette période troublée, le consultant peut aider le dirigeant et son équipe à prendre les bonnes décisions :
- A se poser les bonnes questions sur les cibles de réduction de coût : éviter les logiques de bouc émissaire, les fausses bonnes idées ; oser aussi mettre sur la table les sujets tabous, les territoires « bétonnés » par certains.
- A interroger la pérennité des solutions envisagées lorsque l’activité remontera.
- A veiller au maintien de l’excellence opérationnelle pendant la gestion de la crise.
- A sécuriser une cohésion suffisante des dirigeants autour des choix.
On le voit, gagner en performance en période de crise économique nécessite une attention redoublée aux processus pour identifier des gisements pérennes d’économie, aux marchés pour actionner les leviers de rebonds, à la perspective longue pour préparer la suite, au maintien des fondamentaux opérationnels pour éviter de déclencher d’autres crises. Cela implique de cibler tout en gardant la vision globale. Ce qui demande au Comité de Direction beaucoup de concentration. Comment joue-t-il son rôle ? Doit-il agir en secret pour éviter la panique ? C’est ce que nous verrons dans la seconde partie de cet article.