Engagement des collaborateurs et fidélisation : un défi à multiples facettes
L’engagement des collaborateurs et la rétention des talents : ces deux objectifs semblent être devenus le graal du management et de la gestion des ressources humaines. Ces dernières années, les entreprises ont beaucoup travaillé sur ces sujets : engagement surveys, démarches QVT et désormais QVCT, travail sur le bien-être, développement de « managers coachs », plans de rétention des talents, etc. Il s’agit de tirer le meilleur des collaborateurs, de limiter les fameuses « résistances au changement », de fidéliser des profils rares, de limiter un turnover qui déstabiliserait l’activité.
Pourtant, ces objectifs semblent rester hors de portée : une majorité des salariés français se disent désengagés, le coût caché de ce désengagement est chiffré entre 20.000 et 70.000 euros par salarié et par an, le turnover s’accroît, ainsi que la proportion de salariés prêts à quitter leur travail dans l’année.
Comment expliquer ces résultats décevants ? Comment relever ce double défi de l’engagement et de la fidélisation ? C’est ce que nous vous proposons d’explorer.
1- Un premier paradoxe : engagement des collaborateurs et fidélisation ne vont pas toujours de pair
Certaines entreprises, ou certaines entités en leur sein, qui ont du mal à former aux spécificités de leur métier ou aux complexités de leur organisation, se sont attachées à fidéliser leurs collaborateurs. Qu’il s’agisse de conserver des expertises pointues, de s’assurer d’une stabilité dans des emplois clés, d’éviter des départs dans une zone géographique où le recrutement est difficile. Parfois jusqu’à l’immobilisme : il n’est pas rare de rencontrer des profils qui sont restés 15 ou 20 ans dans le même poste.
Pour ce faire, ces organisations ont veillé à offrir des conditions de travail enviables, un package attractif et souvent croissant en fonction de l’ancienneté. Les représentants du personnel, s’appuyant sur le caractère stratégique des ressources humaines, ont aussi souvent poussé leur avantage et négocié des conditions régulièrement plus favorables.
Paradoxalement, ce type d’environnement vit souvent de forts désengagements. D’abord parce que la rémunération, si elle peut être source de démotivation ou de départ, n’accroit que temporairement la motivation quand elle augmente. Ensuite parce que l’existence de ces avantages a pu conduire dans le passé certains dirigeants à exiger toujours plus, sans prendre en compte les attentes (§ 4). Mais aussi parce que la plupart des talents recherchés ont besoin de nouveaux défis et d’apprendre continuellement pour rester motivés, et il est rare que passées quelques années, elles trouvent dans le même poste ce renouvellement. Paradoxalement, en retenant des personnes par les avantages, l’entreprise peut fidéliser des personnes qui auraient sinon été voir ailleurs, et se lassent, se repliant dans une posture critique.
Pour garder un collaborateur motivé, il faut lui permettre d’évoluer, et parfois accepter de le voir partir… « pars vite pour revenir longtemps » est le message adopté dans un centre de recherche qui avait pourtant besoin de ressources très pointues. L’exposition à d’autres environnements, d’autres milieux constituait un plus pour la créativité … comme elle l’est pour apporter des solutions nouvelles dans un poste opérationnel.
A trop vouloir s’attacher certains profils, ceux-ci se fanent et perdent leur engagement.
2- Quand on tire sur la corde…
Les gens ont besoin de challenges pour se dépasser. Beaucoup de managers ou de dirigeants fixent un niveau d’objectif ambitieux, et cherchent à embarquer leur équipe. L’engagement peut être fille de l’exigence. Cependant il n’est pas rare que l’exigence aille trop loin, et détruise ce qu’elle voulait aviver.
Ainsi un site industriel battait tous les standards du groupe grâce à un engagement très fort de toutes les équipes, entraînées par un dirigeant charismatique. Ce directeur ambitionnait de pousser encore la performance, mais sentait que progresser devenait plus difficile et avait besoin de comprendre pourquoi. Nos entretiens et analyses montrèrent rapidement que de nombreux collaborateurs étaient déjà épuisés, au bord du point de rupture. Et qu’il fallait chercher d’autres leviers de performance que la croissance de l’engagement.
Sur cet autre site, les équipes ont été poussées au-delà de leur maximum par un directeur toujours plus exigeant. Jusqu’au point de rupture… et tout le monde a cédé d’un coup. La production s’est effondrée, les arrêts et les départs se sont multipliés. Il faudra alors plus d’un an pour revenir à une production « normale ».
Ainsi, « tirer sur l’élastique » est une tentation qui peut fonctionner, un certain temps, jusqu’à un certain point. Mais le risque existe que l’élastique rompe. Et souvent, bien avant le point de rupture visible, des dégâts humains et de performance commencent à s’accumuler de manière plus ou moins irréversible.
Certains managers ont cette croyance que la motivation se décrète, se transmet comme un feu sacré en fixant des challenges, en créant un sentiment d’urgence, en poussant les feux. Cependant, cette « transmission » fait appel au sens des responsabilités des collaborateurs, ainsi qu’à la confiance qu’a su nouer le dirigeant / le management avec les équipes. Les deux s’émousseront si les collaborateurs sont placés dans des conditions de travail impossibles, si les dirigeants n’ont pas conscience des efforts exceptionnels de leurs équipes, et qu’ils prennent pour acquis que la performance va encore croître. On ne fait pas pousser une plante en tirant dessus ! Au-delà des sursauts d’engagement que le management peut obtenir et qui l’obligent, la motivation durable vient aussi du rapport de chaque collaborateur à son travail.
3- Créer les conditions de l’engagement durable
La psychologie distingue la motivation extrinsèque et la motivation intrinsèque : la première vient des incitations de l’environnement à agir, telles que le système de rémunération, la crainte de la sanction, le souhait de satisfaire son manager, etc. Cette motivation peut conduire à une activité « superficielle », ne cherchant à satisfaire que les indicateurs fixés – comme la vente de gros contrats qui s’avèreront des gouffres financiers, ou la production à flux tendus au détriment de l’entretien de l’appareil productif – et ne tient souvent qu’un temps.
La motivation intrinsèque quant à elle vient de l’intérêt pour son travail, pour l’utilité qu’il a, pour les défis qu’il représente, pour l’expression de ses talents qu’il permet. Elle est plus durable, et chez certains, peut même les tenir toute leur carrière dans une même fonction, dès lors que les défis sont riches, variés, et cohérents avec les valeurs profondes de la personne.
Les défis fixés, les objectifs, deviennent des facteurs de motivation d’autant plus profonds que le collaborateur les fait siens, en fait des occasions de se prouver, de prouver à ses relations de travail qu’il peut y arriver. En revanche, s’ils paraissent inaccessibles, les objectifs peuvent démotiver comme nous l’avons évoqué.
Plus encore, c’est la « qualité du travail », comme l’a théorisé Christophe Dejours, qui est au cœur de cette motivation. Le travail doit avoir un sens, être utile. Une fonction dans laquelle un collaborateur se demande à quoi il sert constitue une perte tant pour lui que pour l’entreprise. Une organisation où le travail inachevé de la veille est abandonné pour répondre à de nouvelles priorités aussi. Mais l’organisation du travail doit aussi être efficace. Si les outils tombent en panne régulièrement, si les interfaces génèrent des retards ou réclament un surcroît de travail qui aurait pu et dû être évité, si le temps manque pour réaliser son travail en qualité, alors la motivation chute, l’agacement se développe. Et bien sûr l’engagement est alors mal utilisé, en quelque sorte gâché.
Enfin, la motivation liée à l’activité dépend également de la qualité des relations de travail. Les collègues peuvent être à la fois des soutiens précieux – et c’est la majorité des cas -, mais parfois aussi des freins à l’activité. Pour un manager, la qualité des relations avec les membres de son équipe, le sentiment d’un collectif soudé derrière un même objectif et où chacun prend sa part, représentent des facteurs essentiels de motivation – et leur absence constitue un puissant facteur de démotivation.
Ces différents facteurs de motivation sont souvent rassemblés dans la Qualité de Vie et Conditions de Travail. Mais il arrive que la QVCT soit abordée sous le seul angle des conditions matérielles de travail, de l’existence de lieux de convivialité, de l’installation d’une fontaine à eau, de paniers de fruits, d’un babyfoot sur le lieu de travail, etc. Ces éléments, qui peuvent constituer un plus, n’abordent pas assez le cœur du sujet : le sens du travail et de sa propre utilité.
Lorsque nous intervenons sur ces problématiques, nous regardons en priorité l’activité, et explorons les différentes dimensions qui la caractérisent. C’est le losange de la QVCT.
4- Quand l’engagement individuel compense les dysfonctionnements collectifs
On l’a vu, l’engagement des collaborateurs permet d’accroître le volume d’activité réalisé et la performance. Il permet aussi de compenser les limites de l’organisation, comme l’ont montré en leur temps Michel Crozier et d’autres sociologues des organisations. Cependant, si l’organisation ne corrige pas ses dysfonctionnements, non seulement elle utilise mal l’engagement, mais elle use les bonnes volontés. Il est de la responsabilité du management, des dirigeants, d’assurer que l’organisation permette de faire bon usage de l’énergie que chacun peut y mettre.
Or, certaines organisations sont plus promptes à faire reposer sur les personnes la responsabilité des difficultés qu’ils ressentent. Par exemple, le coaching s’est beaucoup développé, et il peut permettre à un collaborateur d’adopter une posture et des pratiques plus adaptées à son environnement de travail. Cependant il peut aussi devenir une excuse pour ne pas voir les dysfonctionnements du système.
Tout l’enjeu devient de faire la distinction entre les difficultés qui viennent de l’organisation et celles qui viennent des compétences et motivations de l’individu, pour apporter la bonne réponse. L’écoute des retours des collaborateurs, la présence sur le terrain, sont fondamentales pour cela. C’est la racine de l’excellence opérationnelle.
5- Le rôle crucial du management
Toutes les études comme notre expérience le montrent : le management joue un rôle crucial dans l’engagement des collaborateurs.
- C’est lui qui assure l’appropriation suffisante des objectifs
- C’est lui qui aide à donner le sens à l’activité
- Il crée les conditions de relations constructives dans l’équipe
- Il remonte les dysfonctionnements
- Il conseille, encourage, reconnaît les réalisations.
Ce faisant, il fait le lien entre l’individu, ses motivations profondes, et le collectif ainsi que l’organisation.
A l’inverse, un manager peut être défaillant sur tout ou partie de ces dimensions, et contribuer à démotiver les membres de son équipe.
Investir sur son management est sans doute le meilleur choix pour améliorer l’engagement. Car les managers, qui dans la grande majorité des cas sont d’abord des bons experts ou praticiens de leur métier, ont souvent besoin d’être aidés, soutenus, outillés. Ainsi dans ce centre de R&D industriel, les scores d’engagements mesurés régulièrement restaient depuis des années désespérément bas, malgré de nombreux groupes de travail et actions de communication. Le dirigeant nous a demandé d’aider son codir et lui-même, à porter un regard systémique sur la situation, pour identifier les leviers susceptibles de vraiment changer les choses. En repartant des chiffres, mais aussi des verbatims et des feedbacks lors des restitutions, et de la perception des membres du codir, nous avons pu ensemble déterminer 3 axes de transformation, définir le changement de logique à opérer sur chaque axe, ainsi que les résultats à viser. Le codir s’est impliqué, a mené les actions, embarqué ses managers intermédiaires, et des changements vraiment visibles ont pu se mettre en place. Un an plus tard, la nouvelle engagement survey faisait état d’un bond de 15 à 25 points sur la majorité des dimensions, et un seul score en retrait.
Les managers détiennent beaucoup des clefs de la mobilisation de leurs collaborateurs. Pourtant, paradoxalement, leur propre mobilisation est souvent tenue pour acquise.
6- L’intérêt d’un regard extérieur
De l’intérieur, le décryptage des leviers de la démobilisation ou du manque d’engagement peuvent être difficiles. On ne voit plus ce qui, peut-être, décourage les collaborateurs, on tient pour acquis tel engagement ou tel désengagement, on peine à mesurer la part que l’on prend soi-même à la situation. Entendre chacun, faire la part des impressions et des réalités, décrypter les cercles vicieux dont il faudra sortir, repérer les gisements de motivation, restituer à tous pour que chacun ait envie d’apporter sa pierre à l’édifice, tout cela peut nécessiter un regard extérieur.
Regard qui pourra aussi guider les dirigeants et managers dans la définition et la mise en œuvre des actions, en évitant les faux pas, en restant conscient du système d’acteurs et des attentes, et en aidant chacun à trouver son propre style sur ce chemin.
7- Accepter la démotivation et le départ… sans couper tout
Il est possible qu’un collaborateur, malgré tous les efforts de l’organisation, de son management, de la fonction RH, ne trouve plus son compte, soit démotivé, ou motivé par autre chose. Pour des raisons professionnelles, personnelles, ou un mix des deux.
Les managers ne sont pas toujours à l’aise avec ces situations. Ils sont bien conscients d’une démotivation, mais ils l’intègrent comme une contrainte, tout en concevant une sourde opposition à ce collaborateur désengagé, qui fait retomber sur ses collègues une partie de la pression. A l’inverse, verbaliser la situation, explorer avec le collaborateur les causes, permet d’identifier ce qui peut être fait du côté de l’entreprise comme du collaborateur, de mesurer le caractère transitoire ou durable des facteurs, d’engager un suivi qui peut conduire à renouer avec l’engagement, ou à une séparation. Personne n’est toujours à son maximum. Des « passages à vide », des moments moins dynamiques arrivent. En revanche, il importe de chercher des solutions, avec bienveillance, et exigence.
De même, il peut arriver qu’un collaborateur, très apprécié, veuille quitter son entreprise ou son service. Et que cela génère auprès de son management et de ses collègues une déception, qui peut aller jusqu’à un sentiment de « trahison ». Cela rendra la rupture plus difficile, et rendra impossible un éventuel retour. Pourtant, chacun dans son parcours peut être amené à changer d’entreprise, à tenter d’autres défis. Et parfois à revenir, dans d’autres fonctions. Plutôt que de le voir comme un drame, en faire un moment de vie comme les autres, l’accompagner, permet à tous de mieux vivre la séparation, et de garder des liens et un sentiment positif par-delà, propices aussi à un bon bouche-à-oreille sur l’entreprise.
Conclusion
L’engagement des collaborateurs et leur fidélisation constituent des enjeux majeurs pour les entreprises et plus largement, les organisations. Qui ne peut se résumer à quelques recettes qui marcheraient partout. Développer la motivation des équipes nécessite une compréhension intime de ses leviers, de ses limites, des aléas qui peuvent survenir. Une attention non seulement aux « conditions de travail » mais au travail lui-même. Une attention aux personnes, mais aussi aux organisations dans lesquelles elles évoluent. Une attention aux managers comme leviers d’engagement… mais aussi en tant que personnes.
Améliorer l’engagement nécessite une approche à la fois collective (efficacité, conditions de travail, avantages) et individuelle (dialogue sur le sens, challenge, relations, …). Mais aussi d’accepter que la motivation d’un collaborateur, qui est d’abord une affaire intime, personnelle … ne saura jamais être totalement maîtrisée.