Relever le défi d’une gestion multi-projets
La plupart de nos clients ploient sous la masse des projets à mener de front alors qu’ils doivent, déjà, tenir le quotidien. Telle cette direction régionale d’une activité de service, qui doit mener une cinquantaine de projets ! Ou ce site industriel, qui doit à la fois se moderniser et être exemplaire sur les démarches Groupe. L’épuisement guette, le découragement n’est pas loin. D’autant que souvent, chaque direction pédale dans son couloir. Le tri semble un rêve inaccessible. Pourtant, il est possible d’améliorer cette gestion multi-projets… en l’abordant autrement.
1- L’embolie de projets, une maladie si répandue
La logique projet constitue une dimension classique des entreprises. Nouvel investissement, démarche RSE, nouveau produit, refonte de processus, réorganisation, … les sujets ne manquent pas qui nécessitent la mobilisation d’acteurs de différents métiers, différentes directions. Un problème se fait jour ? Lancer un projet suffit pour le sentir déjà sous contrôle. Et les projets s’empilent, souvent jusqu’à l’embolie.
« Un grand cabinet de conseil en stratégie est intervenu. Il a identifié 50 projets ! » nous dit la DRH d’une entreprise en pleine transformation digitale. La tendance à multiplier les projets frappe particulièrement les grandes entreprises. Des « démarches corporate » se déploient, chaque direction centrale a la sienne, et il n’est pas rare qu’elle en lance plusieurs de front. Difficile pour les dirigeants d’entités de dire non, d’autant que souvent, les sujets sont légitimes même s’ils ne sont pas les plus urgents.
Des standards sont imposés, obligeant ces entités à s’adapter, parfois à grands frais. Or, ces démarches s’additionnent aux projets locaux, déterminés par les enjeux et clients des entités opérationnelles quand elles ne les contredisent pas et à la gestion du quotidien. Ainsi cette BU dans les transports soumise à d’immenses défis pour satisfaire ses clients, devra tout de même adapter son organisation aux standards branche, sans que les gains en paraissent évidents
2- L’embolie de projets, une maladie invalidante
Cette multiplication des projets, locaux comme centraux, pèse lourdement sur le management : le codir de l’entité, mais aussi son management intermédiaire. Les managers sont vite débordés par le poids des projets, leurs équipes sur-sollicitées pour participer à des groupes de travail … en particulier les experts les plus pointus ou les acteurs les plus pertinents. Chaque pilote, chaque direction, cherche à faire avancer son ou ses projets, programme des réunions, entend « mobiliser » … et n’a pas toujours le temps de répondre aux sollicitations des autres directions. Qui vivent la même chose de leur côté ! Des travaux qui se voulaient transverses avancent en silo, avec quelques échanges arrachés à des acteurs qui ne voient pas bien les implications, et n’ont pas le temps de se poser.
Pris dans le foisonnement des projets, les opérationnels et les managers peinent à voir leur sens, mais aussi à comprendre en quoi leur accumulation va améliorer la situation. D’autant qu’il n’est pas rare que ces projets s’avèrent en partie redondant, sinon contradictoires. Ainsi dans cette entreprise de biotechnologie, un projet de refonte du processus « projets de développement » se télescope avec un projet de formation des pilotes de ces projets et l’arrivée d’un nouvel outil.
L’empilement des projets, et l’engorgement qu’il génère, entraîne naturellement de nombreux retards. On n’a pu faire toutes les réunions prévues, l’expert sollicité n’a pas eu le temps de donner son aval, le pilote a été débordé, le passage en copil est reporté à la prochaine date… La surcharge justifie des reports importants, et qui souvent s’allongent. Le manque de temps réduit aussi la qualité des livrables, faute de test et de correction. Des risques sociaux sont mal anticipés, et certaines annonces de changement, mal préparées, mettent le feu aux poudres.
L’opérationnel du quotidien souffre aussi de cette débauche d’énergie tournée vers la construction du futur. Des incidents de production surviennent, des problèmes de qualité ou de sécurité, qui ne trouvent guère de solution durable, car « les chefs sont tous en réunions ». Les opérateurs ou les agents montent en stress, les indicateurs se dégradent.
La situation est parfois si catastrophique que les plus hauts dirigeants stoppent tous les projets, pour prendre le temps de refondre le programme. Ce fut le cas dans cette entreprise en pleine transformation digitale. Les 50 projets ont généré une telle entropie qu’après quelques mois, le Comex a tout gelé. Et revu le programme pour l’alléger drastiquement. Pour avoir trop cru dans la « magie des projets », l’entreprise s’était retrouvée au bord du gouffre.
3- Une approche « magique » de la gestion des projets
Comment expliquer un tel écart entre les vertus prêtées aux projets, et le résultat obtenu ? C’est qu’il semble exister de nombreuses croyances magiques autour des projets :
- « Il suffit de nommer un chef de projet pour que ça avance » : ce mythe du chef de projet magique, qui par sa seule nomination règlerait le problème, empêche de voir que si ce chef de projet n’est pas doté des ressources ou du temps nécessaire, si ses objectifs ne sont pas clairs, s’il n’est pas soutenu, le problème demeurera.
- Le mythe du dirigeant qui se démultiplie : « je ne peux pas déléguer, je dois faire moi-même ». Et dans certaines organisations, les dirigeants prennent en charge en direct plusieurs projets. Mais malgré leur force de travail, ils butent aux aussi sur les limites de leur agenda.
- Le mythe de la responsabilité unique du projet : il suffirait de confier chaque projet à l’entité la plus concernée … malheureusement, un projet, pour avancer, a besoin, par définition, de contributions transverses. Et souvent de soutien hiérarchique pour les obtenir.
- Le mythe du « cahier des charges évident » : lorsqu’on lance un projet, les objectifs et les résultats semblent clairs, sur le coup, à ceux qui le décident. Pourtant combien de dirigeants nous avouent que la plupart de leurs projets n’ont pas de cadrage formalisé !
- Le mythe du projet « aux heures perdues » : on missionne un chef de projet, mais sans s’assurer de sa disponibilité. Cela tombe bien, il est souvent très compétent sur le sujet… mais aussi très pris. Espérons qu’il trouve le temps de s’occuper du projet.
- « A chaque projet, son comité de pilotage ». Cette bonne pratique de gouvernance pour un projet isolé ou massif, pose problème lorsque l’équipe de direction a 30, 40, 50 projets à suivre ! La gouvernance devient vite illisible, les ponts entre les projets ne sont pas faits, les agendas crient leur douleur.
- « J’ai lancé 10 projets, je fais changer les choses ». Tout comme le nombre de collaborateurs dans ses équipes, le nombre de projets lancés est parfois un motif de fierté… mais encore faut-il que ces projets aboutissent.
- Le mythe du foisonnement transformateur : lorsque les dirigeants veulent transformer leur organisation, ils lancent souvent une feuille de route articulant plusieurs projets cohérents et complémentaires entre eux. « On doit donner un coup de collier collectif pour se transformer ». Malheureusement, la charge que cela implique se concentre alors sur la première année, et devient vite insupportable.
4- … un accord tacite pour ne pas trop soulever le capot
Pour ne pas briser le charme de la logique projet, tout se passe comme si tout le monde s’attachait à ne pas voir les problèmes.
Ainsi, si les chefs de projet et leurs sponsors (quand ils en ont un) essaient de faire avancer leur projet, ils ne sont pas toujours prompts, ni même enclins, à remonter des difficultés. D’abord parce qu’ils espèrent que la situation va s’améliorer : ils attendent une contribution, telle réunion est décalée, ce livrable n’est pas encore reçu, mais enfin c’est l’affaire de quelques semaines. Remonter une alerte est à double tranchant : on expose alors le projet, les contributeurs peuvent se plaindre d’une demande mal cadrée, soulever un doute, mettre en cause le pilotage des travaux. D’autant que le chef de projet est souvent tenu pour responsable du résultat, en oubliant un peu vite qu’il n’a par définition que des leviers limités pour obtenir les contributions.
« Il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout » aurait dit Henri Queuille, homme politique de la IVème république. Cet aphorisme pourrait s’appliquer à la vie des portefeuilles de projets dans certaines organisations. Beaucoup de projets centraux tombent en désuétude après quelques mois ou années, parce que le dirigeant, les priorités, ou la façon d’aborder le sujet auront changé. Mais c’est le cas aussi des projets locaux. Y compris parfois des plus stratégiques. Aussi dans certaines organisations marquées par le foisonnement, un jeu consiste à sembler s’inscrire dans les démarches nationales, sans trop s’avancer, et en attendant que la tendance se confirme ou s’infirme. Cela génère un gâchis de ressources formidable, car beaucoup de projets très mobilisateurs ne produiront jamais les gains attendus, faute de persévérance.
Pour autant, arrêter un projet ne va pas de soi. Lorsqu’on s’est beaucoup engagé, admettre que cet effort a été vain, ou même seulement que cette étape est terminée, coûte.
Le comité de direction quant à lui n’a souvent pas une vision globale de l’ensemble des projets. Ses membres sentent bien qu’il y en a beaucoup, mais ils voient surtout les leurs et ceux qui les mobilisent. Et l’urgence est d’avancer. Ainsi Sisyphe pousse-t-il son rocher chaque jour.
5- Pour sortir du cercle vicieux, d’abord voir la réalité de l’engorgement dans toute son ampleur
Il y a une sorte d’emballement de la gestion de projets, qui conduit à les empiler, sans prendre assez de temps pour les structurer, sans oser les arrêter, en espérant que cet investissement dans l’avenir, si massif, portera rapidement ses fruits.
La première étape pour en sortir consiste à regarder le problème en face. A établir la cartographie des projets, chantiers, workshops, démarches, programmes. En faisant le tour de toutes les directions, en prenant en compte les projets corporate, nationaux comme les projets locaux. De prendre conscience des retards accumulés, des projets dont plus personne ne sait dire le résultat visé, de réaliser l’ampleur des ressources qui devraient être mobilisées pour mener tout en même temps.
C’est souvent un moment où des recouvrements ou des dépendances entre projets se font jour, ou reviennent en évidence. Et, paradoxalement, un moment où chacun se rappelle que tous ces projets ne dépendent pas des seules directions qui les ont pris en charge, mais aussi de la contribution de chacun des acteurs.
Cet état des lieux est aussi l’occasion de mesurer les impacts de la situation : engorgement des outils ou des agendas, épuisement des équipes, perte de sens. Avec cette question ? Comment redresser la barre ?
6- Pour sortir du cercle vicieux, travailler ensuite sur le sens et la valeur
Pour démêler l’écheveau des projets, il est nécessaire de prendre de la hauteur. De clarifier ce que l’équipe de direction veut réussir, ce qui l’anime, ce qu’elle doit impérativement atteindre.
Cela peut être au niveau global : il s’agit alors de la vision d’entreprise, du projet d’une branche ou d’une activité. Qui permettra de redéfinir les projets, de les réorienter en fonction de la valeur attendue, de clore les projets moins prioritaires ou moins générateurs. En redonnant du sens aux projets, et ce faisant du même coup, à la transversalité.
Mais cela peut aussi se jouer à l’échelle locale, d’une filiale, d’un site ou d’un établissement. Quelle ambition permet à la fois de répondre aux attentes de nos clients, et à celles du groupe ? C’est la stratégie locale. Qui permet à l’équipe de se fixer une ligne directrice réaliste, qui fait sens, et qui mobilise. D’oser prioriser. D’oser « monter » plus haut, pour présenter sa feuille de route, et négocier des ressources ou bien des délais supplémentaires sur certains projets du groupe.
Ainsi ce site de production d’un groupe agroalimentaire doit à la fois investir lourdement pour se moderniser, et contribuer aux démarches groupes de façon aussi exemplaire que possible. Le site est déjà sur la sellette, et s’il ne se redresse pas rapidement, il pourrait être fermé. Nous aidons son équipe de direction à mettre à plat les enjeux, les projets, mais aussi à se projeter, pour définir un avenir positif et identifier le chemin pour y parvenir. Ce travail permet d’identifier des forces occultées du site, les écueils à éviter, et de définir un chemin de dialogue avec le siège. Chemin qui aboutira, quelques semaines plus tard, à obtenir le soutien du siège sur une feuille de route plus réaliste, et plus motivante pour tous.
7- Savoir laisser des latitudes aux acteurs locaux … et même s’abstenir
Beaucoup de projets déploient des solutions définies par la Direction, et sensées s’appliquer à toute l’organisation. On réplique une organisation standard, quitte à bousculer l’activité de certaines entités, parce que ses promoteurs ont la conviction qu’elle est plus efficace. Pourtant, le résultat n’est pas toujours au rendez-vous. Si le déploiement d’un standard facilite le pilotage central, voire l’acculturation en cas de mobilité, il n’est pas toujours adapté aux enjeux locaux. Prévoir des marges d’adaptation, voire laisser les équipes locales construire leurs solutions dans le cadre de grandes orientations ou de quelques figures imposées, permet souvent de faciliter l’adaptation et l’appropriation du changement. Et donc le déploiement du projet.
Parfois, il s’agit plutôt de tester le modèle sur différents terrains, et de tenir compte des retours des utilisateurs, pour optimiser le projet. Parfois aussi, le bon projet est … de ne pas en lancer. Car tout progrès ne passe pas nécessairement par un projet. Dans certains cas, s’engager dans une démarche d’amélioration continue fait progresser plus sûrement la performance.
8- Piloter le portefeuille de projets : quelques pratiques connues, bonnes à appliquer
Pour s’assurer de l’avancée des différents projets ainsi priorisés et redéfinis, afin de ne pas retomber dans un nouvel engorgement, les équipes de direction doivent piloter leur portefeuille de projets. S’alerter ainsi sur les retards et leurs impacts, partager des alertes réclamant des mesures correctives, sans descendre dans le fond des sujets – pourtant souvent passionnants.
Lorsque les ressources manquent, ou que la gestion du portefeuille multi projets est trop lourde, déployer un système de « Kanban des projets » peut permettre de s’assurer qu’on ne lance que des projets dont on sait absorber la charge. Et de revoir certaines priorités. Sans perdre de vue l’importance de la qualité des ressources.
L’agilité est un guide précieux pour ce pilotage. L’agilité de savoir stopper un projet, le redéfinir, fusionner deux projets connexes, ou encore accélérer en saisissant une opportunité. L’Agilité qui fixe des échéances courtes, sous forme de « sprints », évitant l’effet tunnel qui trop classiquement marque la conduite de projet. Mais aussi l’Agilité dans la coordination entre projets interdépendants, qui permet de concilier autonomie des équipes et visibilité partagée.
9- Un consultant, pour quoi faire ?
Toutes les voies de travail présentées ci-dessus peuvent être abordées en interne, dès lors que certains acteurs s’en sentent capables. Cependant il arrive que l’intervention d’un consultant extérieur soit utile :
- Pour aider l’équipe de direction à prendre du recul, et à se poser les bonnes questions sur sa forêt de projets, à accepter de stopper un projet dans lequel on a déjà beaucoup investi, sans chercher de bouc émissaire.
- Pour pousser chacun dans ce collectif managérial, à se placer dans une perspective commune, à sortir de la logique silotée qui peut prévaloir.
- Pour créer les conditions d’une écoute par chacun de la perception de l’autre, y compris sur le projet qu’il mène depuis des mois.
Le consultant peut aussi accompagner les dirigeants et managers dans la construction d’une nouvelle dynamique de projet. :
- En aidant à construire des cadrages de projets qui fassent sens.
- En incitant à déléguer ce qui peut l’être.
- En amenant à mobiliser vraiment les collaborateurs, avant, pendant et après le projet.
- En aidant à mettre en place les instances de coordination et de pilotage des projets.
- En accompagnant enfin le dirigeant dans sa prise de recul ou l’évolution de ses pratiques.
Sans plaquer des recettes toutes faites, mais en étant partenaire, expérimenté et porteur de méthode, mais toujours soucieux d’adaptation, pour permettre au collectif managérial de progresser.
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Mettre en place une gestion multi-projets efficace ne va pas de soi. Elle réclame de sortir des cercles vicieux qui conduisent à régler les problèmes générés par l’excès de projets, en en lançant de nouveaux. Elle implique de s’affranchir de la vision « magique » qui font de n’importe quel projet la solution aux problèmes rencontrés. En ce sens, elle demande de sortir d’une vision taylorienne où la pensée des dirigeants, qui s’incarne en autant de projets, est supposée se déployer sans rencontrer d’obstacle ou de surprises. Pour adopter une vision plus pragmatique, et responsabilisante.